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La technique de la « mise à part de l’argent » (MAPA)

Les autorités fiscales canadiennes ont subi de cuisants échecs devant les tribunaux sur la question de la déductibilité des intérêts au début des années 2000. Non seulement lors des décisions Ludco et Singleton rendues par la Cour suprême du Canada en septembre 2001, mais aussi après ces deux décisions. L’Agence du revenu du Canada (ARC) n’avait alors d’autres choix que de mettre à jour sa position administrative sur ce sujet afin d’y mettre de l’ordre.

DÉDUCTIBILITÉ DES INTÉRÊTS ET STRATÉGIE DE LA « MISE À PART DE L’ARGENT » : LA FIN ÉVENTUELLE DES INTÉRÊTS NON DÉDUCTIBLES POUR LA PLUPART DES TRAVAILLEURS AUTONOMES NON INCORPORÉS?

Ainsi, en octobre 2002, l’ARC a rendu public sur son site Web un document de travail (ou de réflexion) sur la déductibilité des intérêts aux fins fiscales. Par la suite, l’ARC a publié son bulletin d’interprétation IT‑533 (en octobre 2003), lequel reflétait les résultats de cette réflexion. Finalement, en mars 2015, l’ARC a publié le folio de l’impôt sur le revenu S3-F6-C1, intitulé « Déductibilité des intérêts », en remplacement de l’ancien bulletin d’interprétation IT-533. L’ARC reconnaît, au paragraphe 1.34 de ce nouveau folio, que la technique de la mise à part de l’argent est toujours valide et aucun changement significatif n’a été apporté à la position connue de l’ARC quant aux grands principes de la déductibilité des intérêts.

Dans le cadre de documents rendus publics au fils des années, l’ARC a clairement indiqué « NOIR SUR BLANC » qu’elle est d’avis que la technique de la « mise à part de l’argent » est conforme au libellé de l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu portant sur la déductibilité des intérêts. En effet, cette technique permet que l’argent emprunté soit utilisé spécifiquement et assurément à une « fin admissible ».

Qu’est-ce que la « mise à part de l’argent » (MAPA)?

La « mise à part de l’argent » est tout simplement une technique qui fait en sorte que le contribuable conserve ses liquidités (générées par des revenus bruts d’entreprise ou de location) afin de payer ses dépenses personnelles ou ses emprunts pour lesquels les intérêts sont non déductibles tandis que les dépenses d’affaires (où les intérêts sont déductibles s’il y a emprunt) sont effectivement financées par voie d’emprunt.

Pourquoi cette technique donne des résultats si spectaculaires pour les travailleurs autonomes non incorporés?

En scindant dans des comptes de banque distincts les recettes de l’entreprise du travailleur autonome non incorporé et les dépenses de son entreprise, on peut alors s’assurer qu’il utilise 100 % de ses revenus bruts tirés de son entreprise pour payer ses dettes ou dépenses personnelles et il utilise des emprunts distincts (une marge de crédit à titre d’exemple) pour acquitter 100 % de ses dépenses d’affaires.

En agissant ainsi, le travailleur autonome convertit progressivement tous ses emprunts où les intérêts sont non déductibles aux fins fiscales en emprunts où les intérêts le sont entièrement. Plus le travailleur autonome a des dépenses d’opération élevées, plus la conversion est rapide (dans la mesure où, évidemment, il a aussi des recettes brutes au moins équivalentes).

Faisons un exemple.

Voici la situation du dentiste bien « connu », Dr Adam Carrier :

Chiffre d’affaires 400 000 $
Dépenses d’opération (225 000 $)
Revenu net avant impôts 175 000 $
Impôts (approximatif) (75 000 $)
Liquidités annuelles pour son coût de vie personnelle et pour le remboursement de ses dettes personnelles (incluant l’hypothèque sur sa résidence) 100 000 $
Hypothèque sur sa résidence d’une valeur de 450 000 $ 200 000 $
Prêt pour l’achat d’une automobile pour sa conjointe 25 000 $

 

S’il n‘utilise pas la technique de la « mise à part de l’argent », Dr Adam Carrier doit se débrouiller avec des liquidités nettes de 100 000 $ pour payer l’épicerie, les frais de scolarité de ses enfants, ses cotisations à son REER, ses voyages, ses achats de meubles, ses mensualités hypothécaires, etc.

Utilisation de la mise à part de l’argent

Dr Adam Carrier a désormais deux comptes de banque pour son entreprise, soit un pour les recettes (400 000 $ par année) et un pour les déboursés de son entreprise (225 000 $ par année). Toutes les recettes sont utilisées pour payer son coût de vie personnelle (100 000 $), ses impôts (75 000 $), son hypothèque (ouverte) sur sa résidence (200 000 $) et pour payer le prêt pour l’achat d’une automobile pour sa conjointe (25 000 $). Il a, au préalable, négocié une marge de crédit autorisée de 225 000 $, garantie par une hypothèque sur sa résidence (de deuxième rang ou de premier rang de type « parapluie »). Il s’agit d’une marge de crédit de type « dollar pour dollar ».

Cela signifie que pour chaque dollar de réduction de son hypothèque actuelle de 200 000 $ et de son prêt-automobile de 25 000 $, sa marge de crédit disponible pour son entreprise est augmentée d’un dollar, et ce, afin de lui permettre de payer les dépenses d’opération de son entreprise. Bref, 100 % de ses dépenses d’affaires sont financées à même sa marge de crédit. Il s’agit donc dans ce dernier cas d’emprunts effectués à des fins admissibles aux fins fiscales. Notez que les impôts personnels du travailleur autonome (incluant ses acomptes provisionnels) constituent des dépenses personnelles et non pas des dépenses d’affaires. Ils doivent donc être payés à même les recettes brutes de son entreprise et non pas par la marge de crédit de son entreprise.

Ainsi, dans notre exemple, Dr Carrier aura remboursé entièrement son hypothèque sur sa résidence (200 000 $) et son prêt automobile (25 000 $) sur une période maximale de 12 mois et aura une marge de crédit pleinement utilisée de 225 000 $. Sauf qu’il n’aura plus d’emprunts où les intérêts ne sont pas déductibles. De plus, rien n’empêche Dr Adam Carrier de convertir, à la fin de la période de 12 mois (dans cet exemple), sa marge de crédit de 225 000 $ en prêt hypothécaire de premier rang. Dr Carrier pourra continuer à déduire les intérêts sur cet emprunt au fil des années (que la durée restante de l’emprunt soit de 5, 10, 15 ou 20 ans). En effet, la clé à cette stratégie est que Dr Carrier a toujours utilisé sa marge de crédit à une « fin admissible » et uniquement à cette fin.

Une décision anticipée à l’appui

Afin de s’assurer du bien-fondé de cette stratégie, une demande de décision anticipée a été déposée
auprès de l’ARC le 18 décembre 2002. L’ARC a confirmé sa validité dans sa réponse du 27 février 2003,
y compris la confirmation de la non-application de la règle générale anti-évitement. Le document publié par l’ARC en octobre 2002 sur la déductibilité des intérêts ainsi que la décision Singleton rendue par la Cour suprême du Canada en 2001 confirment également la validité de la stratégie. Cette décision anticipée porte le numéro # 2002‑0180523.

Les interprétations fédérales # 2005‑0111871E5 du 3 février 2005 et # 2006‑0218241E5 du 14 août 2007 sont aussi très claires à cet égard. De plus, l’ARC a publié en mars 2015 une première version du folio de l’impôt sur le revenu S3‑F6‑C1 où elle indique clairement au paragraphe 1.34 dudit folio que cette technique est conforme au libellé de la loi. Finalement, l’ARC a confirmé en octobre 2010 que la décision Lipson rendue en janvier 2009 par la Cour suprême du Canada (portant sur la déductibilité des intérêts) ne changera rien aux principes déjà acceptés par l’ARC relativement à la mise à part de l’argent.

Une technique à utiliser dans plusieurs situations

Cette technique de la « mise à part de l’argent » pour les travailleurs autonomes non incorporés peut être utilisée dans plusieurs situations, y compris pour le rattrapage des cotisations inutilisées au REER ou au CELI, le paiement de ses impôts en retard, le paiement de primes sur une police d’assurance vie universelle, etc. La clé, c’est simple. Il faut garder les liquidités générées par les recettes brutes pour payer les déboursés où les intérêts sur un emprunt pour payer de tels déboursés ne seraient pas déductibles et utiliser une marge de crédit pour payer les déboursés où les intérêts sont déductibles.

Ainsi, l’institution financière consentira, à titre d’exemple, non pas un prêt pour cotiser au REER ou au CELI, mais plutôt une marge de crédit au travailleur autonome pour son entreprise augmentant au même rythme que les sommes versées à son REER ou à son CELI par ce dernier, car il aura conservé les recettes brutes de son entreprise pour cotiser à son REER ou à son CELI.

Est-ce que les travailleurs autonomes non incorporés sont les seuls à pouvoir utiliser cette technique?

Les associés de société en nom collectif peuvent aussi, en modifiant la stratégie, arriver au même résultat, mais avec quelques contraintes et restrictions supplémentaires. Les particuliers qui sont propriétaires d’immeubles locatifs peuvent également envisager cette stratégie. Les employés ne peuvent pas, à l’heure actuelle, utiliser cette tactique.

S’agit-il vraiment d’une nouvelle stratégie?

Non. Cependant, avant la décision Singleton rendue par la Cour suprême du Canada en 2001, l’ARC laissait miroiter qu’elle pouvait se fonder sur la réalité économique des transactions (c’est-à-dire le résultat découlant des gestes posés) plutôt que sur la réalité juridique des transactions (c’est-à-dire le contribuable a‑t‑il emprunté à une fin admissible) de telle sorte que les contribuables pouvaient être très hésitants à envisager une telle stratégie, surtout lorsqu’elle est exploitée « à fond » tel que nous l’avons fait avec l’exemple du Dr Adam Carrier. La décision Singleton a cependant mis les pendules à l’heure en indiquant clairement que la réalité juridique des transactions est la règle à suivre. Cela a donc ouvert clairement la porte à la stratégie énoncée ci-dessus. Nous vous rappelons simplement qu’une hypothèque de 300 000 $ à un taux de 5 % payable sur 25 ans coûtera un peu plus de 225 000 $ en intérêts. En les rendant déductibles, le particulier peut ainsi épargner plus de 100 000 $ en impôts sur la durée de l’hypothèque sans trop d’efforts!

Est-il possible que les autorités fiscales modifient éventuellement la législation relative à la déduction des intérêts?

Cela est toujours possible. Toutefois, il faut comprendre qu’il serait très difficile et même presque impossible pour les autorités fiscales de prévoir une législation qui forcerait les travailleurs autonomes non incorporés à payer leurs dépenses d’affaires « comptant » et ainsi les forcer à emprunter pour leurs dépenses personnelles. Les gouvernements sont cependant libres de légiférer comme bon leur semble, ou presque. Quant à la restriction sur la déductibilité des frais financiers introduite dans le budget du Québec du 30 mars 2004, elle n’a absolument aucun impact sur cette technique.

 

 

Y a-t-il des pièges à éviter ou encore d’autres éléments de planification?

Oui. Bien que la stratégie soit relativement simple, il faut porter attention à quelques pièges. À titre d’exemple seulement, si le contribuable se sépare de son conjoint pendant ou après le processus de remboursement de l’hypothèque initiale sur la résidence, il pourrait définitivement en découler des coûts au niveau du partage du patrimoine familial pour le contribuable. Certaines stratégies existent cependant à cet égard. Il existe aussi d’autres stratégies de planification visant à maximiser les avantages fiscaux de la technique de la mise à part de l’argent. Finalement, il faut s’assurer que la marge de crédit est utilisée uniquement pour payer des dépenses d’affaires admissibles à la déduction des intérêts. À titre d’exemple, dans la réponse à la demande de décision anticipée # 2002-0180523, l’ARC a demandé de transférer la TPS et la TVQ perçues sur les ventes dans le compte « déboursés » du travailleur autonome afin de ne pas impliquer les taxes facturées au client dans le processus de la « mise à part de l’argent ». Voilà pourquoi un contribuable devrait absolument consulter ses conseillers habituels avant de mettre en place ces stratégies, et ce, afin d’éviter les erreurs coûteuses et pour en tirer tous les bénéfices. Alors, n’hésitez pas à nous consulter. Il nous fera plaisir de vous aider face à votre propre situation.

Vos conseillers et collaborateurs,

CLOUTIER LONGTIN INC.

2 réponses
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